Bien qu’utilisé dès l’Antiquité dans un but sociologique et esthétique, le tatouage n’apparait en médecine qu’en 1945, et a été rebaptisé par la suite dermographie médicale.
C’est une technique qui a été mis en place au Centre Antoine Lacassagne en 1990, principalement pour la reconstruction d’aréoles mammaires suite à une chirurgie après cancer du sein.
Au début le tatouage se faisait autour d’un mamelon chirurgical puis l’idée de faire un mamelon en trompe l’œil ou effet « 3D » est venu compléter cette technique.
Définition de la dermographie
De « dermo » = peau et « graphie » = écriture, le terme signifie « écrire sur la peau ».
La technique consiste à faire pénétrer des pigments dans la peau à l’aide d’une aiguille selon le principe du tatouage dans le but d’embellir, de corriger, de masquer ou de reconstruire. Dans notre pratique de chirurgie reconstructive et esthétique d’un service de centre anti-cancer, il apparaît que nombre de patientes peuvent profiter de ces techniques pour reconstruire une apparence extérieure naturelle dans des zones opérées ou irradiées (aréole, cicatrices, contours des lèvres, visage, sourcils, cils) et pallier ainsi les effets iatrogènes des traitements de chimiothérapies, chirurgie et radiothérapie.
Les infirmières dermographes dédiées à cette pratique ont bénéficié d’une formation dans un centre spécialisé en tatouage esthétique et correctif, avec apprentissage des différentes techniques, la manipulation du matériel et le choix des différents pigments. La notion d’apprentissage de 2 ans auprès de l’ancienne infirmière de dermographie a été nécessaire afin de s’approprier la maitrise du dessin et la complexité de la colorimétrie.
Pratiquer la dermographie médicale nécessite : connaissances techniques et don artistique.
Mais seules les années d’expérience et de pratique apportent la compétence.
Cet acte relativement simple est délicat car le résultat est durable et n’autorise aucun droit à l’erreur. Les résultats sont variables en terme de nuance pour un même pigment, en terme d’intensité de la couleur et en terme de durée dans le temps du résultat. Le pigment est progressivement éliminé par l’organisme à une vitesse qui dépend de la taille des molécules de pigment, de la qualité du système immunitaire, de la qualité et de l’entretien de la peau et des agressions subies telles que les expositions solaires.
Ceci explique aussi qu’une dermopigmentation va nécessiter de l’entretien à une fréquence variable d’une personne à l’autre.
En ce qui concerne le tatouage d’aréole, il faut envisager tous les 4 ou 5 ans une séance de retouche.
Les Indications de Dermopigmentation
Plusieurs situations sont concernées par la dermographie médicale :
➤ Aréoles et mamelons
Les pigmentations d’aréoles et de mamelons en reconstruction mammaire après la chirurgie représentent la moitié de notre activité, soit environ 200 aréoles par an.
Différentes techniques existent, tatouage en effet « 3D » (facilité de réalisation mais pas de relief) ou tatouage en 3 temps : un temps de tatouage puis un second temps 1 mois plus tard avec une petite chirurgie sous anesthésie locale, en ambulatoire, avec prise de lambeau (appelé bi ou tri folié) sur ce même tatouage pour créer le mamelon. La retouche (3ème temps) viendra finaliser le résultat. Ce geste peu invasif permet un résultat plus réel et va aider psychologiquement la patiente à se reconstruire.
Exemple : Reconstruction de la plaque aréolo-mamelonnaire après ablation / reconstruction du sein suite à un cancer.
➤ Cicatrices
La dermopigmentation permet l’effacement de cicatrices blanches, lisses et plates qui nuisent à une jolie reconstruction mammaire.
➤ Sourcils et eye-liner
Suite aux chimiothérapies, nous réalisons le maquillage semi-permanent. Il peut se réaliser au décours des cycles de chimiothérapie car c’est un acte stérile.
Un avis médical peut être nécessaire en cas de baisse immunitaire significative.
Cet acte entièrement gratuit pour les patientes traitées au CAL s’inscrit dans une démarche de prise en charge globale de la patiente.
Dans le cadre du DISSPO (Département Interdisciplinaire des Soins de Support pour les Patients en Oncologie), nous travaillons dans cette démarche d’amélioration de la qualité de vie.
Avoir un cancer est une épreuve, où la personne est atteinte physiquement et moralement dans son être. La mise en œuvre thérapeutique va faire intervenir des traitements lourds et toxiques et vont altérer l’image corporelle pouvant entraver l’adhésion aux thérapies.
Ce soin apporte un réel bénéfice pour les patientes qui témoignent de leur satisfaction.
Prise en charge
La dermographie est désormais reconnue d’intérêt thérapeutique et de pratique médicale obligatoire. La technique pour la reconstruction de la plaque aréolo- mamelonnaire dans la chirurgie réparatrice du sein, a fait son entrée officielle dans la pratique quotidienne médicale et surtout dans la nouvelle Classification commune des actes médicaux (Ccam).
C’est donc un acte entièrement gratuit pour toute patiente atteinte d’un cancer du sein dans le cadre de l’Affection de Longue Durée s’il est réalisé dans un établissement hospitalier.
Pourquoi des pigments et pas des encres dites « définitives » ?
Mis en place par voie invasive dans la peau, le pigment constitue un implant médical qui reste à vie dans le corps du patient. Les produits utilisés au Centre Antoine Lacassagne sont des pigments stériles à partir de critères très stricts afin qu’ils soient agréés CEIIb. Ils sont issus de mélanges de pigments et de dispersants 100% naturel d’origine végétale, ne contenant ni eau, ni produit pétrochimique.
Une première étude réalisée en 2017 montre scientifiquement la toxicité des encres par rapport aux pigments naturels. Cette étude a été réalisée sur des tissus humains au synchrotron de Grenoble (European Syncrotron Radiation Facility, ESRF).
Les résultats ont été publiés dans Scientific Reports, revue open access :
« Lors de la cicatrisation, et tout au long de la vie, une partie de l’encre est phagocytée par les macrophages du système immunitaire, et éliminée par la lymphe, c’est pour ça qu’on retrouve de l’encre dans les ganglions. »
Synchrotron-based ν-XRF mapping and μ-FTIR microscopy enable to look into the fate and effects of tattoo pigments in human skin Ines Schreiver, Bernhard Hesse, Christian Seim, Hiram Castillo-Michel, Julie Villanova, Peter Laux, Nadine Dreiack, Randolf Penning, Remi Tucoulou, Marine Cotte Andreas Luch
Certains produits qui composent l’encre des tatouages se déplacent à l’intérieur du corps sous forme de nanoparticules et atteignent même les ganglions lymphatiques, montre pour la première fois cette étude franco-allemande.
Les patientes pendant et après un cancer ont souvent une baisse immunitaire contributive aux traitements et il semble donc important d’informer sur les bénéfices/risques lors de la décision d’une réalisation de tatouage.
Si le tatouage médical existe depuis l’Antiquité sous forme de rites et de croyances visant à éloigner les mauvais esprits et amener la bonne santé, de nos jours, c’est un véritable outil permettant à nos patients de se réconcilier avec leur corps.